Perceptions
de la croissance exponentielle (publications)
L'histoire très connue des
grains de blé qui se multiplient sur les cases de
l'échiquier illustre le biais exponentiel, qui
est la tendance à considérablement sous-évaluer la
vitesse de croissance d'une suite géométrique. Bien que
l'histoire des grains sur l'échiquier soit plus que
millénaire, le biais exponentiel lui-même a été peu
étudié. Les quelques études scientifiques sur la
question ont été l'œuvre de psychologues (notamment
William Wagenaar, dans les années 70-80, à qui s'est
opposé Gregory Jones) et, plus récemment, d'économistes
au détour de considérations sur la perception de
l'inflation. La didactique des mathématiques, elle, ne
semble pas s'y être intéressée.
Dans deux travaux récents, j'ai
abordé la question selon deux aspects. Le premier est le
caractère mystique que l'exponentielle a acquis
aujourd'hui dans nos représentations collectives, en
lien avec diverses peurs contemporaines (la peur de la
croissance démographique, par exemple, qui nous ramène à
Malthus et même bien avant). La croissance exponentielle
est souvent qualifiée d'"impossible à se représenter",
d'"affolante", etc. Le second aspect est une
représentation simple d'un phénomène exponentiel,
destinée à favoriser l'appropriation intuitive de son
comportement qualitatif. L'idée, testée à plusieurs
reprises, consiste à "faire glisser la virgulee, en
l'autorisant à se superposer aux chiffres au fil du
temps. Dans le cas du doublement des grains sur
l'échiquier, par exemple, l'égalité approchée $
2^{10}\approx 1000$ suggère qu'avancer de dix cases
revient à faire glisser la virgule de trois rangs (en
fait, légèrement plus) vers la droite (on passe de
$1=1,00000$ à un peu plus de $1000=1000,00$). Avancer de
cinq cases revient donc à atteindre un nombre de grains
que l'on écrira sous la forme $100\!\!\!,000$ : la
virgule s'est déplacée d'un rang et demi (ce qui
correspond à l'égalité, approchée toujours, $2^5\approx
10^{1,5}$) et se trouve superposée à l'un des $0$. On
peut certes facilement calculer de tête une
approximation du nombre de grains sur la
64${}^{\mbox{e}}$ case à partir de la relation
$2^{10}\approx 10^3$. Toutefois, pour des suites
géométriques de raison différente de $2$, une telle
facilité n'apparaît pas toujours. L'intérêt théorique de
la représentation en virgule glissante est son caractère
qualitatif plutôt que quantitatif, qui permet de ramener
l'exponentiel au linéaire, en montrant qu'il n'est autre
qu'un "linéaire sur un nombre de chiffres".
Mots circulaires et
construction de l'ensemble $\mathbb{Q}$ (
publications)
À l'origine, les mots circulaires sont
une notion introduite dans le cadre de recherches en
mathématiques (
voir ici)
et qui s'est révélée propice à des investigations
didactiques, menées en collaboration avec
Laurent
Vivier (LDAR, université Paris-Diderot). En
combinatoire, un
mot est une suite (finie ou
infinie) d'éléments d'un ensemble $A$ appelé
alphabet
($A$ est en général supposé fini). Lorsque $A$ est composé
des chiffres de $0$ à $9$, les mots finis correspondent aux
entiers positifs selon les modalités définies par la
numération en base dix. Dans ce système de numération, un
nombre réel est la donnée de deux mots : l'un est fini (la
partie entière), l'autre infini (la partie fractionnaire,
qui se finit éventuellement par une infinité de $0$).
Il est bien connu que les nombres
rationnels sont ceux dont l'écriture en base dix est
périodique à partir d'un certain rang. Il est donc possible,
pour les rationnels, d'avoir recours à une représentation
alternative, composée de deux mots finis, le premier pour la
partie apériodique et le second pour la partie périodique.
(EN toute rigueur il faut aussi, dans cette représentation,
préciser la place de la virgule.) Par exemple,
$275/27=10,185185185185\ldots$ se représente par le couple
de mots $(10,185)$.
Pour mener des opérations arithmétiques à
partir de cette représentation alternative des rationnels,
il convient d'envisager la partie périodique non comme un
mot fini ordinaire (comme l'est la partie apériodique), mais
comme un mot circulaire, c'est-à-dire dont la dernière
lettre est suivie de la première. Cela conduit à reformuler
diverses règles, comme celle de la retenue. Voici un exemple
d'addition, dans laquelle les parties périodiques sont
surlignées :
Le début de l'addition se fait comme
d'habitude, mais la retenue qui apparaît lors de l'opération
$2+9$ se reporte aussi à droite de la partie périodique
(elle est ici signalée par un $1$ entre parenthèses). Cette
représentation à l'aide des mots circulaires fournit un
registre alternatif aux fractions pour les nombres
rationnels. Elle donne aussi des outils pour éclairer la si
mystérieuse égalité $1=0,999\ldots$, dont les démonstrations
"élémentaires" classiques sont souvent défaillantes (par
exemple lorsqu'on écrit $1/3=0,3333\ldots$ puis qu'on
multiplie par $3$, sans pouvoir donner de justification
rigoureuse à l'égalité $3\times 0,3333\ldots=0,9999\ldots$).
Questions d'enfants sur les
mathématiques : les "Minipommes" (
publications)
Destinée aux élèves du degré primaire de
9 à 11 ans, la collection "Les Minipommes" des éditions Le
Pommier, à laquelle j'ai contribué à cinq reprises, propose
de courts ouvrages illustrés qui abordent un sujet
scientifique au travers d'une petite histoire. La conception
d'un ouvrage de cette collection se déroule d'une manière
particulière et originale. Une fois le thème choisi, les
élèves d'une classe sont invités par leur enseignant à
réfléchir durant une heure aux questions qu'ils aimeraient
poser dessus. Après cela, l'auteur, accompagnée de
l'éditrice qui prend des notes, se présente devant la
classe, écoute les questions et y répond durant environ une
heure et demie. Le matériau ainsi constitué sert de base à
une petite histoire au cours de laquelle les questions sont
reprises. Une fois rédigé, le manuscrit est soumis à la
classe, qui le lit avec son enseignant, puis le commente à
l'auteur lors d'une seconde séance. Le texte est alors
retravaillé et complété par des illustrations et des
propositions d'activités. Un supplément pédagogique pour les
enseignants fait l'objet d'un cahier séparé, il consiste en
une liste d'activités supplémentaires et en une articulation
avec le programme de mathématiques du cycle 3 français.
Au-delà de la démarche pédagogique sur
telle ou telle notion du programme, l'originalité des
résultats tient beaucoup à la nature des questions posées.
C'est là un effet important du contrat didactique très
particulier mis en place (les élèves définissent eux-même le
champ de la discussion, ils ne sont pas évalués, ils ont
pour rôle d'aider et de critiquer un
auteur, et non
un enseignant ou un chercheur). Au cours des séances, il est
ainsi possible d'aborder des "questions intimes" souvent
inattendues. Ainsi, lors des séances préparatoires pour un
ouvrage sur le hasard, les élèves n'avaient eu de cesse
d'amener la discussion sur le terrain métaphysique. (D'où
vient le hasard ? Existe-t-il vraiment ? Si j'ai une
mauvaise note, ou si deux voitures ont un accident, est-ce
que c'est du hasard ?). Les aspects ludiques (jeux de
hasard, paradoxes des probabilités) ou appliqués
(statistiques), quant à eux, ne les avaient que très
modérément intéressés. De même, pour un livre traitant de
l'infini, les discussions ont bien vite mené à des
interrogations existentielles (mort, fin du monde, fin des
temps).
Plusieurs de ces ouvrages ont été
traduits en italien et en espagnol. L'édition italienne de
l'un d'eux,
Voyage au pays des nombres, a obtenu en
2009 le prix
Pianeta
Galileo du Conseil régional de Toscane, décerné par
les élèves de cette région.
AlPaGe : réflexions théoriques
sur la vulgarisation des mathématiques (
publications)
La vulgarisation des mathématiques
connaît un certain essor, avec de nombreuses initiatives qui
ont vu le jour ces dernières années. En revanche, fort peu
de réflexions de nature théorique ont été menées à son
sujet. Les rares occasions de rencontres institutionnelles
demeurent principalement l'occasion de présenter des actions
et des innovations. Pour mener une réflexion plus globale,
nous avons créé avec Hacène Belbachir (université d'Alger),
Pierre Audin (Palais de la découverte, Paris), Pierre-Alain
Chérix et Shaula Fiorelli-Vilmart (université de Genève), un
groupe de réflexion. Baptisé AlPaGe (Alger-Paris-Genève), ce
groupe se réunit par visioconférences environ une fois par
mois et prépare une série d'articles de synthèse de
réflexions communes sur la nature de la vulgarisation des
mathématiques et ses spécificités par rapport à celle
d'autres disciplines scientifiques.
Sur un manuel de sixième pour
l'Afrique francophone subsaharienne (
publications)
Avec
Laurent
Vivier (LDAR, université Paris-Diderot), nous avons
fait paraître en 2009 un manuel scolaire à destination des
élèves de sixième de Côte d'Ivoire, qui a été ensuite adapté
pour le Cameroun en 2010. Ce manuel a vocation à être
progressivement adapté à une vingtaine de pays d'Afrique
francophone subsaharienne. Nous en avons tiré une expérience
concrète des contraintes posées par l'élaboration d'un
manuel qui se devait d'être en stricte adéquation avec un
programme officiel, aussi bien pour son contenu
disciplinaire que dans son esprit pédagogique (l'approche
par compétences). Du point de vue théorique, nous en avons
tiré une analyse du programme sur lequel se calque le
manuel, analyse qui traite aussi de la manière dont nous
avons tenté de satisfaire les contraintes nombreuses et
contradictoires qui se sont présentées, parmi lesquelles :
- des contraintes liées à la situation générale du
public visé (élèves souvent non francophones,
enseignants fréquemment très peu formés, conditions
matérielles parfois précaires avec des classes pouvant
compter jusqu'à une centaine d'élèves…).
- des contraintes tenant à certaines incohérences du
programme (par exemple s'agissant de la médiatrice de
$[AB]$, définie comme droite perpendiculaire à $[AB]$ et
passant par son milieu, sans que soit au programme sa
propriété d'être l'ensemble des points équidistants de
$A$ et de $B$).
- des contraintes éditoriales, avec notamment un nombre
de pages très strictement limité pour traiter un
programme très (trop) ambitieux.
Une approche intuitive de la
théorie des opérateurs (
publication)
Il s'agit d'un travail qui s'intéresse à
l'enseignement des mathématiques en master 1. Le constat de
départ est que la visualisation courante de l'algèbre
linéaire en dimension finie étudiée au niveau du bachelor
n'est en général pas réinvestie lors des cours de master sur
la théorie de opérateurs (exception faite de l'algèbre
bilinéaire). Parce que les nouveaux problèmes de convergence
et de non-équivalence des normes constituent l'essentiel des
difficultés théoriques que posent la dimension infinie par
rapport à la dimension finie, l'idée même de s'appuyer sur
la représentation matricielle a quelque chose d'incongru. On
peut la défendre sur le plan mathématique en rappelant que,
dans le cadre de la théorie des distributions, le théorème
des noyaux de Schwartz établit une correspondance entre
opérateurs et "matrices infinies" très comparable à celle
entre endomorphismes de $\mathbb{R}^n$ et matrices $n\times
n$.
D'un point de vue moins abstrait et davantage tourné vers
l'enseignement, une transition plus douce, fût-elle
partielle, de l'algèbre linéaire à la théorie des opérateurs
est une possibilité qui mérite d'être considérée. Une
expérience menée avec cinq étudiants de début de master
suggère que l'idée dispose d'un certain potentiel. Cette
expérience a mis en lumière deux points en apparence
contradictoires :
- d'un côté, les difficultés qui demeurent considérables
pour les étudiants à se représenter un endomorphisme en
dimension finie, même simple, lorsque la dimension est
une valeur $n$ qui n'est pas explicite ;
- d'un autre côté, l'audace des étudiants pour suggérer
une représentation d'un opérateur de dimension infinie à
partir du formalisme matriciel de la dimension finie
(audace qui les a fait s'approcher très près de la
formule des opérateurs à noyau).
Liste des publications par thème
(voir ici la liste complète de mes publications)
Perceptions de la
croissance exponentielle (
présentation)
Benoît Rittaud, "Une approche de la
croissance exponentielle par l'introduction d'une virgule
glissante",
Annales de didactique et de sciences
cognitives 18 (2013), 91-113.
Benoît Rittaud, "Les utopies
exponentielles",
Actes des 4${}^e$ rencontres
internationales Jules Verne (2012).
Benoît Rittaud, "Les grains sur
l'échiquier : entre intuition, calcul et mystique",
Short
proceedings du colloque "La didactique des mathématiques :
approches et enjeux. Hommage à Michèle Artigue"
(2012).
Lire
l'article.
Mots circulaires et
construction de l'ensemble $\mathbb{Q}$ (
présentation)
Benoît Rittaud & Laurent Vivier, "The
field $\mathbb{Q}$ from the standpoint of circular words"
(soumis).
Benoît Rittaud & Laurent Vivier,
"Different praxeologies for rational numbers in decimal
system - the $0.\overline{9}$ case",
Proceedings of
CERME 8, Antalya (2013).
Benoît Rittaud & Laurent Vivier,
"Does Numerology Allow a group to have Two Identity
Elements?",
The American Mathematical Monthly 119
n°4 (2012), 439.
Benoît Rittaud &
Laurent Vivier, "Un point de rencontre entre recherche
mathématique et recherche didactique", Actes des
journées mathématiques de l'Institut français de
l'éducation, 15 et 16 juin 2011, Lyon, 85-92.
Questions d'enfants sur
les mathématiques : les "Minipommes" (
présentation)
Benoît Rittaud, "Libres perspectives
enfantines sur les mathématiques"
(soumis).
Benoît Rittaud,
Les Merveilles du
calcul, Le Pommier (2014).
Benoît Rittaud,
Jusqu'à
l'infini !, Le Pommier (2011).
Benoît Rittaud,
La Géométrie ou le
monde des formes, Le Pommier (2009).
Benoît Rittaud,
Les Mystères du
hasard, Le Pommier (2008).
Benoît Rittaud, V
oyage au pays des
nombres, Le Pommier (2007).
AlPaGe : réflexions théoriques
sur la vulgarisation des mathématiques (
présentation)
Benoît Rittaud, "Vulgariser les zones
d'ombre",
Actes du colloque EMF 2012 - Genève, 2-6
février 2012.
Lire
l'article.
Benoît Rittaud, "Ces publics à ne pas
oublier",
Actes du colloque international de
vulgarisation scientifique, Tlemcen (Algérie) 2012 (à
paraître).
Sur un manuel de sixième pour
l'Afrique francophone subsaharienne (
présentation)
Benoît Rittaud & Laurent Vivier,
Maths
6${}^{\mbox{e}}$, Edicef/Hachette Livre International
(2009).
Benoît Rittaud & Laurent Vivier, "La différenciation des
curricula des pays de l'Afrique francophone et de l'Océan
Indien : L'exemple de la République de Côte d'Ivoire",
Actes
du colloque de l'Espace Mathématique Francophone (Dakar,
6-10 avril 2009).
Lire
l'article.
Une approche intuitive de la
théorie des opérateurs (
présentation)
Benoît Rittaud, "Théorie intuitive
des opérateurs en Master 1",
Repères-IREM n°93
(2013), 37-46.
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